Où vont tous ces visages dont pas un seul ne rit ? Ces doux êtres pensifs que le
remord maigrit ?
Si les masques de papiers mâchés dissimulant les traits de leurs propriétaires
ne vous plongent pas dans de grandes réflexions sur la quête de leur sens. Si des phrases comme “Why did you die?” ou “Anything that doesn’t make money is a waste of time” ne provoquent pas en vous un puissant sentiment d’incompréhension, si elles ne suscitent que l’indifférence et l’apathie, alors ne prenez pas la peine de voir ce documentaire.
The End of the Special Time we were allowed retrace le parcours de Sôta Masuda, un jeune musicien pour qui la valeur d’une vie tient à la passion qu’on y développe. Avec Kurando Tominaga, ils enchaînent les petits concerts devant des foules bien trop souvent stoïques et certainement trop petites. Comment, ou plutôt pourquoi vivre de sa passion ? Au final, le réalisateur ne répond à aucune des deux questions. La quête de succès des personnages est suffisante pour nous introduire à des réflexions plus abordables. Peut-on vivre sans passion ? Devrions-nous vraiment laisser cet aspect froid et mou de notre personnalité prendre le dessus ? Sert-il à quelque chose de résister ? Le choix vous est laissé. “I’m a listener, not a player.” Kurando a abandonné, il ne joue plus. Par contre, il sourit toujours. Sôta s’est suicidé. Il s’est battu et cela n’a pas suffit: “It’s not like I’m against suicide. I don’t regret doing it”.
Intervenu alors que le tournage n’était même pas encore terminé, cet événement va structurer le film, jouant habilement sur la fine séparation entre documentaire et fiction. À travers les dialogues sans visages (couverts de papier mâché), à travers la narration de Kurando et de par les introspections touchantes et lourdes de sensibilité des parents, le film affiche une volonté claire de compréhension sur ce suicide. La réalisation est absolument contrôlée, et la passivité affichée face à cet événement tragique aide le spectateur à se faire son opinion.
Aucun jugement n’est formulé vis-à-vis de la décision prise par Sôta, au contraire, même lorsque le réalisateur se montre à la caméra, il prend alors le rôle d’acteur, de simple personnage, sans autorité aucune sur le message final du film. Il ajoute d’ailleurs lui-même une dimension à la réflexion qu’il avance, évoquant la difficulté de vivre face à l’affreuse prise de conscience de l’échec de sa passion. Dans une dernière lettre, Sôta lui dit: “Termine le film, avec une fin heureuse si possible”. D’une certaine façon, la sortie de ce long-métrage est aussi bien un message d’adieu à son ami disparu, qu’une conclusion apportée au dilemme auquel ce dernier n’a pas pu survivre.
Kurando a préféré vivre dans l’échec, tandis que Sôta a préféré mourir de sa passion. Shingo Ôta continue de réaliser des films. En toute honnêteté, je ne saurais vous dire quelle voie me conviendrait le mieux. On voit là toute l’habileté du documentaire, qui a réussi à présenter ces trois options comme équivalentes et tout à fait viables.
Le mardi 18 avril, à 20:30, au Studio (3 rue du Général Serrail) vous aurez l’incroyable opportunité de découvrir cette œuvre accompagnée des commentaires et de la présence de son réalisateur: Shingo Ôta. Ne ratez pas cette occasion inestimable !
Matteo De Domenico