“Le seul moyen de se délivrer d’une tentation, c’est d’y céder”

Nous étions bien Adam. L’Eden, toi, moi. Tu étais nu, moi pas. On se crêpait le chignon parfois pour des affaires sans queue ni tête, mais pas besoin de se couper les cheveux en quatre pour savoir que le soir de deux nous ne faisions plus qu’un, et que c’était la fête. 

Le jour tu me recouvrais d’un épais tissu de moire, une épaisseur de noir qui m’empêchait de voir. Mais moi je savais que tu faisais ça pour me protéger. Il n’y a qu’à toi que je puisse me dévoiler. 

Mais il a suffi d’une fois, une fois où tu es parti. Je m’ennuyais alors j’ai pris le narguilé, celui que tu m’avais interdit à tout prix, mais quand même je l’ai pris, et là je la vis, Père ! L’immonde serpent enroulé autour de la chicha me regardait. Le fascinant animal ne m’a pas proposé de fruit non, ma tentation était bien pire, mon mal venait de plus loin.

Oui… Je l’avoue au grand jour j’ai voulu découvrir mes cheveux, ce drapeau noir planté sur ce crâne dont tu es l’émir et dont la vue de chaque pan te fait frémir.
J’étais dehors et il faisait chaud. En retirant mon voile, je m’attendais à entendre le tonnerre gronder, la terre trembler, les dieux tonner. Le voile est tombé, dans un bruissement de soie, il est tombé comme une plume, ce poids. Et le tonnerre n’a pas grondé, et la terre n’a pas remué, et les dieux ont continué leurs parties de dé comme si de rien n’était. 

Et là tu es arrivé, tes yeux se sont posés sur moi et tu as vu mes cheveux et tu t’es dit “ça tend”. 

Je me souviens encore, Adam, ce jour-là. La fenêtre était ouverte. Il faisait beau, il faisait chaud…et toi tu me lapidais de tes mots. Puis tu t’es calmé et tu m’as demandé de me rhabiller. Mais je ne voulais plus. J’ai aimé sentir le vent dans mes cheveux, j’ai aimé les sentir flotter autour de moi, j’ai aimé sentir ces boucles éclabousser mon visage, je les ai préférées à mon étoffe-cage. Depuis tout ce temps tu me disais que j’étais trésor, au final je me dis que j’étais trésor-retard. Toi qui n’avais pas trois poils sur le caillou, tu me dictais coiffure et me disais quoi faire. Toi qui n’aimais pas la non-binarité, tu aimais pourtant que je ne te réponde qu’avec des voix-iel, sinon ça faisait mauvais genre. 

Alors face à mon obstination, tu m’as dit comme un dernier baiser, dans un dernier soufflé “Adieu Mahsa, toi et toutes celles qui sont comme toi.” Tu m’as chassée de notre paradis modeste une bonne fois pour toutes, prenant soin de fermer mes yeux avant de m’emmener aux cieux car, Ô Dieu, j’eus le malheur de montrer mes cheveux. Désormais des histoires de cheveux, je veux que tout le monde s’en mêle. Du législa’tif, à l’éxécu’tif en passant par le judici’hair. Je veux qu’on s’en fasse des nœuds dans la tête et qu’on nous sorte enfin de nos fers car l’histoire est loin d’être lisse. 

Adam tu m’as délivrée de ma tentation en me faisant céder. Alors dans un ultime requiem que je ne veux prononcer qu’au présent, je brandis un drapeau blanc tâché de sang et veux vous déclamer ces vers de Baudelaire doucement du Havre jusqu’en Iran : 

Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !

Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !

Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure

Des souvenirs dormant dans cette chevelure,

Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

“Le seul moyen de se délivrer d’une tentation, c’est d’y céder”


Cet article est issu du discours écrit et déclamé par Charlotte MARES lors des sélections pour le “Paul et Mike show”, le 28 Septembre 2022,

Le thème a été choisi dans le contexte des manifestations en Iran à la suite du décès de Masha Amini et de son arrestation par la Police des mœurs pour “port de vêtements inappropriés”.


Featured image: Protests after Jina Mahsa Amini’s death in Iran, 2022, Wikipedia.

Author: Le Dragon Déchaîné

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