En ce deuxième jour de la Women’s Week, Anna Freund revient sur le parcours de la photojournaliste américaine Dorothea Lange, de l’exode de la Grande Dépression aux camps d’internement japonais sur le sol américain.
« Une image vaut mille mots » dit-on. Une image peut transmettre émotions, sentiments, elle illustre des faits, les moments forts d’une existence, d’une vie, de plusieurs vies, qui se mêlent, s’emmêlent. Une image est l’expression du monde, de l’humain, le témoin qui ne meurt jamais. Par cette simple phrase, chacun a à l’esprit une photo précise ou un artiste particulier. Pour moi c’est une femme, témoin de l’histoire américaine. Il s’agit de Dorothea Lange.
Née en 1895 à Hoboken aux États-Unis, elle est journaliste, spécialisée dans le reportage humaniste lié aux migrations qui ont bouleversées l’Amérique des années 1900. Initialement basé à San Francisco, son studio de portraits photographique attire alors de nombreux clients qui apprécient le talent de la photographe à choisir le bon moment pour capter les multitudes d’émotions qui traversent un visage. C’est une vie confortable pour Dorothea Lange, mais la misère qui touche de plus en plus les rues de sa ville la marque profondément. Elle ressent alors le besoin d’apporter de la visibilité à ceux qui en ont besoin, d’être la porte-parole de « What actually is the human condition ».
Elle commence en tant que reporter dans les grandes villes où, par ses photos, elle illustre le quotidien d’Américains qui ont été plongés dans la pauvreté. Son travail est remarqué par les agences fédérales qui décident de l’engager. Ainsi, à partir de 1937, elle est mandatée par la FSA (Farm Security Administration) pour rendre compte des conséquences de la Grande Dépression et de la sécheresse climatique du Dust Bowl sur les agriculteurs, des milliers de migrants économiques et climatiques partis à la recherche de nouvelles terres et de nouveaux espoirs dans le Sud du pays. Sa photographie la plus connue, Migrant Mother, est le symbole de cette Amérique rurale livrée à elle-même pour survivre.

Sillonnant les routes Américaines auprès de ces populations dans près de 22 états, elle est considérée comme une des premières femmes photographes documentaristes des Etats Unis. Son impressionnant travail d’archive de cette période de l’histoire comprend plus de 4000 prises de vues pour la FSA. Pour John Steinbeck, « ses photos et son regard humain, empathique racontent à eux seuls une histoire des plus complètes ».
Aux Etats-Unis, les travaux de Dorothea Lange ont différentes portées. Son reportage sur la migration des populations rurales a été utilisé par le gouvernement Roosevelt pour justifier le New Deal. Son second reportage est mandaté par la War Relocation Authority pour photographier l’internement des Américains d’origine japonaise dans des camps suite à l’attaque de Pearl Harbor. Elle accepte et photographie les différentes étapes de l’internement, des maisons qui doivent être évacuées en moins d’une semaine jusqu’aux camps tels que celui de Manzanar où sont internés des générations de japonais nés sur le sol américain. Elle y documente, par les photos et les entretiens avec ses sujets, les conditions de vie et la résilience silencieuse de ces citoyens exclus de la société. Ces photos empreintes de sensibilité, d’une grande justesse mêlant détresse et dignité, intimité et distance, ne sont pas celles attendues par le gouvernement et sont censurées jusqu’en 2006.

Dorothea Lange est une journaliste humaniste, libre, engagée et déterminée, qui a su s’imposer dans le monde masculin du photojournalisme pour ses clichés empreints d’émotions et d’histoire. Elle n’a pas hésité à s’opposer au gouvernement américain afin de rendre justice et de donner de la visibilité à ces hommes et ces femmes alors invisibles des médias. Dans les périodes de crise et de violence, l’arme de Dorothea Lange est son appareil photo, qu’elle appelait sa « machine à tuer les indifférences ». Son œuvre est un incroyable travail d’archive et de mémoire pour l’histoire américaine a inspiré des générations d’artistes et de journalistes.