« Coronavirus! Ching chong! »
C’est ce que j’ai entendu après m’être raclé la gorge. Il faisait encore assez froid en ce début du mois de mars, et je me souviens que le premier cas de coronavirus venait d’être détecté dans le département de la Seine-Maritime. J’étais en train de rentrer chez moi après une soirée, marchant sur le pont entre Les Docks et la gare du Havre. Derrière moi, quatre garçons, âgés d’environ 11 ou 12 ans, répétaient ces mots. Il faisait sombre, et je ne voyais personne d’autre qu’eux.
Cela m’a choqué. Je n’étais pas choqué du fait que je venais de vivre un acte de racisme. À ce moment-là, après avoir habité en France pendant 2 ans en tant qu’Asiatique, (malheureusement) j’avais déjà l’habitude de ce type d’actes. En face de la gare du Havre ou dans la rue vers le Monoprix, dès que les passants remarquent qu’on est d’origine Asiatique, il est impossible d’éviter que quelqu’un nous dise « Nihao » à chaque fois, peu importe notre véritable nationalité.
Mais ce qui m’a choqué était qu’il s’agissait de 4 garçons, beaucoup plus jeunes que moi et probablement encore élèves à l’école ou au collège, et c’était eux qui se moquaient de moi. Cela signifie une chose importante: le racisme anti-asiatique est structurel en France et la discrimination contre les Asiatiques est établie à travers toutes les générations. En d’autres termes, résoudre ce problème sera difficile car ces idées sont profondément ancrées dans la société française.
Globalement, on peut dire que le racisme anti-asiatique n’est pas assez considéré. Il n’y a pas beaucoup de couverture médiatique sur ce sujet, ni de discussions parmi les citoyens. Cette situation est peut-être dûe au fait que la société française voit ce problème comme « des clichés » ou « des stéréotypes » sur les Asiatiques. Les gens ont tendance à prendre le racisme comme quelque chose de drôle, et la culture française a tendance à ne pas prendre au sérieux ce sujet. Même des personnes que je connais personnellement trouvent que c’est drôle de dire que les Chinois « mangent les chiens ». De plus, la barrière linguistique empêche un grand nombre de personnes asiatiques maîtrisant mal le français d’exprimer leur avis sur la question.
Le problème du racisme anti-asiatique est-il moins sérieux que les autres types de racisme? Je vous assure que ce n’est pas le cas. En 2016, Xiaolin Zhang, un père de trois enfants, a été victime du cliché que « les Chinois transportaient de grosses sommes d’argent ». Il a été agressé et tué par un jeune mineur.
Au cours des derniers mois, le mouvement contre le racisme anti-noir « Black lives matter (BLM) » est devenu plus connu dans le monde. Au fur et à mesure que nous regardons les nouvelles sur ce sujet, nous réalisons que nous commençons seulement à voir « la pointe de l’iceberg ». Derrière le décès de George Floyd, il y a encore des morts indénombrables des noirs en Amérique et dans le monde. Il est évident qu’il va falloir beaucoup de temps pour résoudre cet immense problème.
Cependant, le mouvement BLM pourrait également donner un nouvel élan au problème du racisme anti-asiatique. BLM nous enseigne quelque chose de très important : la première étape pour lutter contre le problème du racisme est qu’il soit reconnu comme tel, connu et discuté par une grande partie de la population. Il faut que nous réalisions que le problème existe et persiste.
Le nouveau coronavirus attise actuellement le racisme anti-asiatique. « Les actes racistes et les agressions physiques ciblant les Asiatiques et personnes d’origine asiatique s’étant multipliés depuis la pandémie de Covid-19, il faut que les dirigeants des gouvernements agissent de façon décisive pour contrer cette tendance », a déclaré John Sifton, directeur du plaidoyer au sein de la division Asie de Human Rights Watch. De plus, le Président des États-Unis, Donald Trump, appelant le virus « China virus » peut potentiellement empirer le problème, car les Asiatiques pourraient être associés à l’image du virus. Cela signifie qu’en tant qu’Asiatique, vivre en dehors d’Asie dans les quelques années à venir va devenir gênant. Dans ce cas, ce que nous pouvons faire est de continuer à sensibiliser l’opinion publique afin qu’elle soit consciente que le problème du racisme anti-asiatique reste encore là. Il est nécessaire que tout le monde reconnaisse tout d’abord ce défi, avant que nous commencions à travailler sur la solution.
Cher.e.s Havrais, parce que nous représentons la communauté asiatique en tant que campus qui étudie la relation Europe-Asie, je veux que vous fassiez preuve d’initiative pour apprécier la culture Asiatique, et pour avoir une bonne compréhension sur le thème. Il y a plusieurs événements sur le campus ou dans la ville du Havre, qui présentent la culture asiatique (Le festival de la mouette, par exemple). Enfin, quand vous rencontrez « un cliché » asiatique ou une personne qui se moque de la culture asiatique, je vous demande de dire à la personne que ce n’est pas drôle, et que c’est un acte qui doit être arrêté.
Justine Reix, 07 août 2017, Les Chinois d’Aubervilliers inquiets, un an après la mort de Chaolin Zhang
Human Rights Watch, 12 mai 2020, Le Covid-19 attise le racisme anti-asiatique et la xénophobie dans le monde entier