par Manon Patouillet
Une analyse de la place du Havre dans la culture populaire, illustrée par deux figures emblématiques : le rappeur Médine et le film La Beuze.
Si Le Havre est souvent perçu comme étant la ville la plus laide de France, ou encore « la ville d’Édouard Philippe », en s’imprégnant de la vie normande, beaucoup apprennent à aimer la ville telle qu’elle est et apprécier son histoire unique.
Dans la culture populaire, certes, Le Havre est bien trop peu mentionné. Toutefois, quelques références méritent d’être prises en compte, à commencer par le domaine du rap, notamment à travers le rappeur havrais emblématique Médine.

Médine, de son vrai nom Médine Zaouish, est né au Havre dans l’ancien hôpital Guillaume le Conquérant et grandit dans le quartier du Bois de Bléville, près de la forêt de Montgeon, puis plus tard à Mont Gaillard. Il décrit son enfance et adolescence au Havre comme paisible et « sans problèmes ». Aujourd’hui, il vit toujours au Havre avec sa famille, et semble avoir de profondes attaches à la ville. Il déclare dans une interview se considérer « totalement havro-havrais ». Il ajoute : « Ma mère est née au Havre, j’ai toute ma famille là-bas, oncles, tantes, cousins, cousines, grosse fratrie ».Le Havre est aussi la ville dans laquelle il fait ses premiers pas dans la musique. En 1998, à 15 ans, il débute comme beaucoup de jeunes de son quartier, dans un collectif, et se produit sous le nom de « Global ». En 2004, il lance son premier album solo intitulé « 11 septembre récit du 11e jour ». Celui-ci reflète en particulier la plume engagée de Médine, souvent reconnu comme un rappeur politisé sur les sujets tels que le terrorisme islamiste ou le droit des femmes. Néanmoins, Médine produit au fil de sa carrière des albums également plus personnels, tel que « Storyteller », dans lequel il partage des expériences plus intimes de sa vie. Sur cet album figure le titre « Venom », dans lequel il fait référence à son identité, ses racines, et dont le clip est lui-même filmé au Havre. Au visionnage de celui-ci, on peut apercevoir les sites mythiques de la ville, tels que le Volcan ou l’église Saint Joseph.
Dans « La puissance du port du Havre » et « LH », le rappeur, cette fois, rend directement hommage à sa ville natale. Il souligne l’identité et l’histoire unique de la ville, et les épreuves qu’elle a dû surmonter, à commencer par les bombardements durant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui une des plus grandes villes portuaires au monde, il met en avant néanmoins les difficultés que rencontre sa population, notamment les plus marginalisés. Il déclare dans « LH » ; « On a des gueules d’après-guerre des gens pas très clairs avec des emplois précaires – On est des rats de conteneurs qu’on gagne ou qu’on perde – On choppe le cancer en même temps que nos salaires ».
Sa carrière longue et complète lui vaut souvent l’intitulé de « Daron du rap ». Or Médine est également le « Daron du Havre ». Connu d’un grand nombre de la population havraise, le rappeur est une réelle star locale acclamée par beaucoup, et même saluée par le maire Edouard Philippe. De rumeurs, Médine peut être aperçu dans ses endroits favoris du Havre, tel que l’esplanade de la plage, les Jardins Suspendus, ou alors dans ses restaurants et bars favoris tels que Le Bout du Monde à Sainte-Adresse, ou Asian Kitchen. Le 9 novembre, les Havrais ont surtout pu l’apercevoir au Carré des Docks, où il a tenu un concert à la maison, à l’occasion de ses 20 ans de carrière, qui a débuté dans cette même ville.
Le hit « La puissance du port du Havre » est en réalité inspiré d’un film réalisé par François Desagnat et Thomas Sorriaux intitulé « La Beuze ». Le film raconte les aventures de deux amis, Alphonse et Scotch, qui découvrent au Havre un stock de cannabis, ayant appartenu à des nazis, et utilisé afin de faire des expérimentations sur les humains. Ces derniers seront alors poursuivis par la police et le fils d’un ex-nazi voulant récupérer « la Beuze », tandis qu’ils essayent de lancer un business de cannabis à Paris.

Le choix du Havre comme ville dans ce film n’est sûrement pas innocent. En effet, en tant que grande ville portuaire, Le Havre a été aussi dans le passé et toujours aujourd’hui le berceau pour de nombreux trafics de drogues, et notamment de cannabis, appelé « la Beuze » dans le film. Une des chansons, « Alphonse Brown », parle elle aussi de « la puissance du port du Havre », et de sa « culture de la betterave », sous-entendant plutôt la culture de la « bicrave ».
Grandissant avec ce film, Médine explique néanmoins dans une interview, que « c’était dur de venir du Havre dans les années 2000 et de souffrir de la culture de la betterave comme il le disait ». En effet, ce film offre une représentation caricaturale de la ville du Havre, insistant sur son ambiance industrielle et portuaire, marqué par le trafic de cannabis, et des personnages plus loufoques les uns des autres. Au-delà du film, Le Havre dans l’opinion publique et la pop culture est souvent associé au trafic de drogue qui transite son port, ce qui déçoit la population havraise, dont le sentiment est sûrement celui de la peine que leur ville ne soit pas représentée à sa juste valeur.
Néanmoins, ces dernières années, la ville semble vouloir se détacher de l’image négative collée à sa peau. Médine, mais sûrement beaucoup des habitants vivant depuis longtemps au Havre, remarque que la ville s’est « boboisé », sûrement due à la récente gentrification, ou bien à son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 2005.
Le Havre met en avant son identité forte et son architecture qui est certes particulière, mais qui est surtout le fruit d’une histoire encore plus unique. Au travers de différents événements et projets artistiques, tels que Un été au Havre ou Béton, c’est aussi cette histoire que la ville tente de faire passer, refusant de se réduire à l’image caricaturale de la « ville de béton et de betterave ».
